Partout en Europe, le droit d’asile est marqué par de fortes tensions provoquées par les révolutions arabes et leur impact migratoire et sécuritaire. Au cœur des controverses, se trouvent des initiatives politiques de plus en plus nombreuses, inspirées soit par l’objectif de contrôle du territoire et des frontières, soit par la volonté de mettre en place un nouveau système de soutien performant qui permette à celui qui demande une protection d’être correctement et justement traité.

En Suisse, les trois révisions en cours de la Loi sur l’asile s’inscrivent en plein dans cette activisme politique ambivalent. D’une part, certaines mesures proposées par ces révisions portent sur des durcissements classiques qui pérennisent une politique désuète et vieille de 30 ans. D’autre part, une part grandissante de ces mesures s’articulent autour de tentatives, plus ou moins réussies, de refondation de la politique d’asile par le biais de l’accélération des procédures (rapidité du système de traitement, nouvelles garanties procédurales, amélioration de la prévention des dysfonctionnements) et de la restructuration du domaine de l’asile (transfert de la grande majorité des procédures vers les centres fédéraux, nouvelles capacités d’accueil, amélioration de la solidarité entre autorités cantonales et fédérales). La mise en place de « phases-tests » durant ces deux prochaines années, la réduction drastique des délais de recours de 30 à 10 jours et de traitement à 140 jours ainsi que le projet de nouveau centre fédéral à Zürich qui accueillera près de 500 requérants d’asile, constituent des exemples récents de ce nouvel esprit de réforme.

La votation sur l’asile sur laquelle nous nous prononcerons le 9 juin prochain touche tant à des mesures de durcissements que d’accélération. Toutefois, seules quatre mesures particulières qui s’inscrivent pour l’essentiel dans une vieille logique de durcissement sont contestées:

  1. Suppression de la « procédure d’ambassade » : le rendez-vous manqué d’une action concertée avec l’UE La procédure d’ambassade permettait de déposer une demande d’asile à l’étranger. Cette possibilité constituait, pour les personnes qui nécessitent une protection et qui ont un lien fort avec la Suisse, une possibilité efficace d’éviter les itinéraires de fuite dangereux et le recours aux passeurs. Dorénavant, ces personnes devront venir déposer leur demande d’asile en Suisse et y accèderont soit par le biais d’un visa humanitaire, soit illégalement par le biais de passeurs. Avec cette procédure d’ambassade, la phase préparatoire du dossier avait lieu à l’étranger de sorte que la personne était directement informée pour le cas où sa demande n’avait aucune chance de succès. Dans ce dernier cas, on évitait des frais de renvois.L’expérience démontre que par le biais de la procédure d’ambassade, il est possible d’accorder une protection à des personnes véritablement persécutées et de contribuer à compenser les difficultés dans les cas de regroupement familial. Le nombre d’autorisations d’entrée délivrées et de décisions d’octroi de l’asile qui n’est que de quelques centaines, prouve l’importance de cette procédure qui correspond entièrement aux objectifs de la Convention relative au statut des réfugiés. Le visa humanitaire n’est pas un moyen de remplacement suffisant car son application est en principe plus limitée. Par ailleurs, ce sont les autorités consulaires, sans compétences en matière d’asile, qui examinent les dossiers. La suppression de la procédure d’ambassade au moment même où le peuple syrien paye le prix fort de sa liberté et alors même que ce peuple a plus que jamais besoin du soutien humanitaire et politique de tous les pays démocratiques, est particulièrement choquant. Alors que les Syriens sont plus de 4 millions à demeurer dans des camps de réfugiés et que le HCR dispose de moyens limités, la Suisse n’a autorisé qu’un contingent de 73 personnes à venir en Suisse depuis septembre 2012. Pour un pays à tradition humanitaire, les procédures d’ambassade constituent un signe de solidarité important avec les pays du Sud qui accueillent plus de 80% des 43 millions de personnes déplacées dans le monde. Faut-il le rappeler : en Suisse, les réfugiés et les admis provisoires constituent 0.6% de la population totale et les demandeurs d’asile 0.3%. Au lieu de supprimer cette procédure, on aurait pu légitimement attendre de la Suisse qu’elle mène une action musclée auprès de ses partenaires européens pour une réinstauration commune de cette procédure.
  2. Suppression de la désertion comme motif d’asile : un « frein migratoire » qui ne change rien  à la réalité Est également contestée l’exclusion de la définition de réfugié des personnes qui objectent ou qui ont déserté. Théoriquement, l’énoncé légal signifie que la Suisse refuse de reconnaître le droit d'asile à des réfugiés de guerre même en cas de risque avéré de persécution. Ne pas collaborer activement à un conflit armé est perçu comme un acte de résistance à des régimes autoritaires et comporte donc un risque de traitement inhumain (détentions arbitraires, tortures, mort) et par conséquent un besoin de protection. Ne pas reconnaître ce besoin de protection constituerait une dérogation considérable à la Convention relative au statut des réfugiés. C’est pourquoi, malgré la modification de l’énoncé légal et sa mise en vigueur depuis six mois, les chiffres attestent que le taux de reconnaissance de l’asile des personnes provenant des pays touchés par cette problématique (Erythrée, Sri-Lanka, Colombie, Syrie) est resté inchangé. Cette politique qui consiste à voter des durcissements théoriques impraticables et dont on sait qu’ils ne pourront pas avoir d’effet sur la pratique, est inadmissible en démocratie.
  3. Mise en place de centres spécifiques pour requérants d’asile « récalcitrants » : le choix de l’isolement plutôt que du travail 
  4. La nouvelle loi prévoit des « centres spécifiques » où seront placées des personnes qui n’ont commis aucun délit, mais dont le comportement pose problème. Le « centre spécifique » est une version édulcorée du projet de l’UDC et de la Lega qui souhaitent des camps d’internement (centres fermés). Il importe de s’interroger sur l’utilité de ces centres car les délinquants peuvent déjà être sanctionnés par le droit pénal et placés en détention à l’issue d’une procédure judiciaire. Par ailleurs, les personnes qui refusent de collaborer à leur renvoi peuvent déjà être l’objet d’une détention administrative contrôlée par un juge. L’introduction de ces centres et la notion imprécise de « récalcitrant » qu’ils impliquent risque de générer d’importantes disparités entre cantons et Confédération. Ces centres concernent en effet des requérants qui « menacent la sécurité et l’ordre public ou qui portent sensiblement atteinte au fonctionnement des centres d’enregistrement ». En pratique, il n’est objectivement pas possible de définir la notion de ce qui « porte sensiblement atteinte ». Ces critères flous constituent une menace concrète d’arbitraire. Plus inquiétant, on observe que les seuls centres actuels du genre déjà existants sont situés dans les Grisons. Isolés et livrés à eux-mêmes, les requérants tombent très souvent dans la délinquance. Tels que conçus, ces centres sont de véritables machines à produire de la délinquance et dangereux pour toute la collectivité. Au lieu d’entériner ce véritable régime d’isolement, les autorités auraient dû privilégier un usage musclé des programmes d’occupation, des lieux d’hébergement accessibles et des assouplissements pour les autorisations de travail.

Mise en place de phases-tests : une anomalie législative 

Le Conseil fédéral pourra à l’avenir expérimenter des procédures tests, sans base légale et en dérogation à la Loi sur l’asile elle-même via une ordonnance (« OTest »). La séparation des pouvoirs et le fonctionnement démocratique de nos institutions en prennent pour leur grade. Sur le fond, la première mesure test annoncée porte sur la réduction drastique de 30 à 10 jours des délais de recours. Celle-ci s’appliquera de façon aléatoire pour un nombre indéterminé de demandes d’asile. En pratique et même avec le soutien d’un avocat expérimenté, il sera excessivement difficile pour un demandeur d’asile de recourir sérieusement en 10 jours contre une décision, sans connaître la langue, ni même nos lois. Ce délai de recours exceptionnellement bref risque de porter préjudice au principe d’équité et d’affaiblir la garantie de protection juridique.

Pour une nouvelle gouvernance migratoire 
C’est à raison que le PS et les autres partis de gauche, les Femmes PDC, les sections genevoise et vaudoise du PDC, les associations de défense des migrants, les œuvres d’entraide et les Eglises, s’opposent à ces mesures de durcissement et soutiennent le référendum. Depuis 30 ans, une majorité politique dirigée par l’UDC s’acharne à concentrer sur l’asile toutes les expérimentations possibles en matière de durcissements et bloque toutes les réformes qui sont aujourd’hui nécessaires. Appliquée aux bouleversements migratoires que nous connaissons aujourd’hui, cette politique de durcissements désuète est devenue profondément inadéquate, dangereuse et génératrice de chaos. Cette politique est devenue une machine à produire de la délinquance, elle tue des gens comme à Landquart, elle maltraite des personnes fragiles et vulnérables, elle ne réduit en rien l’augmentation des demandes d’asile et elle empêche de mettre en place de véritables solutions. Dire non à ces mesures d’urgence, c’est dénoncer des durcissements indignes pour les requérants mais aussi inutiles, inefficaces et dangereux pour notre société.

Dire non, c’est aussi exiger que des solutions crédibles et équitables soient rapidement mises en place et, plus largement, c’est demander une nouvelle gouvernance migratoire. Car les principaux problèmes de l’asile sont connus : augmentation du nombre de demandes (45%) et des affaires en suspens, durée de la procédure d’asile trop longue, en particulier celle de Dublin (168 jours), capacité d’hébergement insuffisantes, mauvaise gestion des requérants d’asile délinquants, instruments d’aide au retour peu attractifs, mesures de contraintes non ciblées, augmentation des bénéficiaires de l’aide d’urgence de longue durée (plus de 15%) et manque d’intégration chez les admis provisoires. Prendre en charge ces problèmes, c’est défendre des solutions qui passent par une accélération maîtrisée des procédures et des traitements, un renforcement des structures du domaine de l’asile (nouvelle solidarité entre cantons et Confédération et nouvelles capacités d’accueil) et, plus largement, une simplification des statuts et des droits des requérants d’asile. En matière migratoire, l’impréparation d’une majorité de politiques est telle qu’ils ne savent plus que proposer de la poudre aux yeux. C’est déjà le cas en matière de libre circulation avec la clause de sauvegarde. C’est malheureusement aussi le cas en matière d’asile. Un changement profond est nécessaire.

24. avr 2013