J’étais partie pour connaître la réalité des réfugiés syriens au Liban et, si possible, visiter les camps en Jordanie aussi. Je voulais témoigner, raconter, dénoncer. Mais c’est le Liban que j’ai découvert et son incroyable nébuleuse politique. La catin du Moyen Orient. C’est ainsi que je l’ai découverte. Envahie, martyrisée, magnifique, digne, achetée, soumise, trahie, détruite, reconstruite. Comme un terrain de jeu de puissances occultes et moins occultes. Enjeu de la Syrie, d’Israël, de l’Iran, de l’Arabie Saoudite, de l’Amérique et de l’Europe. Comme un terrain de jeu où chacun provoque, fait et défait ses alliances. L’héritage de 60 ans de politique et de guerre. Des centaines de milliers de réfugiés syriens accueillis dans les villes et chez l’habitant pour ne pas rééditer l’aventure des camps de palestiniens défigurant toujours le pays, comme une cicatrice d’un passé et d’un présent non résolu. 

C’est un pays où chaque famille compte ses morts. Qu’elles soient chiites, sunnites, chrétiennes ou druzes. Je demandais naïvement aux habitants : mais comment faites-vous pour tenir ensemble après tout cela ? Après ces guerres qui vous opposent les uns aux autres ? Comme si le pardon était leur moteur. Ce qui les maintient ensemble, ce n’est pas l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre. C’est le sentiment d’amour pour leur pays. J’ai rencontré des chrétiens, des chiites, des sunnites. Tous me disaient être libanais, mais ils reconnaissaient surtout ce qualificatif aux autres communautés composant le pays. Une gifle pour moi qui vient d’un pays où se tiennent les procès en « suissitude ».

Je reste persuadée que la lecture du monde doit se faire par les critères économiques : dominants-dominés ou gauche-droite. Toute ma vie d’étudiante on me l’a dit et répété, et j’y ai cru, j’y crois encore : la guerre de religion n’existe pas et tout n’est que question d’instrumentalisation politique de la religion, comme excuse de pouvoir. Pourtant, pourtant, au Liban j’ai compris que la pensée politique ne découlait pas d’un Etat délimité par des frontières, puisque celui-ci y est faible. La pensée politique découle de sensibilités religieuses et de financements étrangers. En cela le Liban est devenu catin. Les Iraniens financent la communauté chiite libanaise, les Saoudiens les sunnites et l’Occident les forces qui servent sa géostratégie.

Les alliances et désamours dans ce pays du Levant se font et défont avec violence. Ainsi, les Palestiniens aidés par le Hezbollah sont sunnites. Or, le Hezbollah est composé de chiites. Les chiites soutiennent Bachar el-Assad qui massacre les sunnites. Et de cette équation découle le fait que réfugiés syriens sunnites doivent supporter les portraits de Bachar el-Assad dans les camps des palestiniens ou dans les quartiers chiite de Beyrouth.

Malgré la vie qui continue, qui crie, les peurs sont insidieuses. Ne va pas te baigner à la plage sunnite dit-on aux chrétiens ; ne sors pas dans les quartiers chiites dit-on aux sunnites. Non, ne donnez pas la nationalité libanaise aux palestiniens réfugiés depuis 60 ans, sinon les musulmans seront encore plus nombreux ! Et qui va nous aider nous, me disent les chrétiens. Cette question ne peut pas laisser indifférente la chrétienne que je suis. Mais quelles sont les attentes ? Un accueil prioritaire en Occident ? Mais est-ce à dire que mon frère musulman persécuté vaut moins que mon frère chrétien ? Non bien sûr.

Alors j’envie ces gens qui savent. Moi je n’ai que des doutes. Oui il faut intervenir militairement dans cette région contre cet état islamique autoproclamé. Mais cela doit s’accompagner d’une vision politique commune. Parce que l’action guerrière sans politique, c’est comme une opération à cœur ouvert sans coutures pour fermer la plaie. Le patient mourra d’hémorragie. Union sacrée donc contre l’état islamique autoproclamé et ensuite ? On reprend toutes et tous nos billes et on continue nos jeux géostratégiques qui oublient simplement de prendre en compte les personnes ?

Ce que je sais c’est qu’Etat et religion ne font pas bon ménage. Que pour sortir de ce siècle pseudo religieux, il faudra délimiter le terrain d’intervention de chacun. L’Etat ne doit pas envahir la pratique religieuse et la religion ne doit pas imposer sa vision à un ensemble diversifié. Les puissances religieuses de tous bords ne devraient pas prendre le pas sur l’Etat. Alors je lance le débat : pourquoi pas ne pas s’acheminer vers une interdiction de financement des communautés religieuses locales par de l’argent provenant de l’extérieur ? Règle qui prévaudrait aussi bien ici qu’ailleurs.

Mes pensées vont simplement à toutes les Libanaises et Libanais de là-bas et d’ailleurs qui veulent enfin vivre en paix. Ne plus être le territoire d’expérience et de jeux vicieux de puissances quelles qu’elles soient. 

01. oct 2014