L'homophobie n'est pas que le problème des autres : en Suisse aussi, elle existe, et fait des victimes au quotidien. En juin 2018, Sylvain et leurs amis fêtaient l’obtention de leur diplôme de l’école de musique de Genève par une belle soirée d’été, lorsqu’ils croisèrent le chemin d’un groupe d’hommes alcoolisés. Au fil de la conversation, des blagues homophobes fusent. Les étudiants furent choqués, et rappelèrent les coupables à l’ordre, en prenant en exemple leur ami, Sylvain. Tout est alors allé très vite : les jeunes rencontrés coururent sur Sylvain, lui flanquèrent un coup sur le crâne qui le fit tomber, inconscient, visage écrasé au sol. « Sale PD ! » Les motifs de l’attaque ne font pas de doute : Sylvain est homosexuel, ses agresseurs homophobes.

Mathilde : Beaucoup de gens ont remis en question le caractère homophobe de cette attaque. Naïveté ou mauvaise foi ?

Sylvain : Les premiers qui n’ont pas reconnu leur homophobie ont été les agresseurs eux-mêmes. Après que j’ai porté plainte pour agression physique et insultes, eux-mêmes m’ont poursuivis pour diffamation et calomnie, car nous avons raconté sur les réseaux sociaux l’agression dont nous avons été les cibles précises, toutefois sans donner de nom. Lors de la confrontation devant la justice, ils ont insisté que l’on dit « sale PD » comme on dit « sale connard », et que leur choix d’insultes avait été maladroit. Ces explications ne sont que le reflet de l’homophobie ambiante de notre société, et le signe de leur mauvaise foi.

Qu’est-ce qui t’a décidé à parler de ton agression sur les réseaux sociaux ?

J’ai toujours entendu autour de moi des histoires d’amies et d’amis qui se sont fait agresser, et je suis souvent la cible d’insultes, mais rien de physique ne m’était arrivé jusque-là. Ce n’est pas dans mon tempérament de me voir comme une victime, alors l’agression ne m’a pas rendu triste ou fait peur, mais cela m’a profondément révolté. Au temps de #metoo, je voulais partager mon témoignage et montrer que l’homophobie est bien une réalité. Beaucoup d’amis sortent moins, se montrent moins en raison de leur orientation sexuelle, et il est temps de faire changer les mentalités.

Pourquoi soutiens-tu l’extension de la norme pénale antiraciste ?

Les attaques homophobes nous réduisent à notre orientation sexuelle. Avant d’être homosexuel, je suis brun, sportif ou encore grand. C’est la personne qui me frappe qui décide de me catégoriser, car elle me résume à ce trait de ma personnalité qu’elle n’aime pas. Toutes les attaques homophobes nous constituent alors en minorité et nous isolent. Pénaliser l’homophobie comme caractère aggravant lors d’une attaque physique permet de casser cette frontière. Au même titre que la lutte contre les discriminations raciales, ethniques et religieuses, un OUI à la protection contre les discriminations contribue à un vivre-ensemble pacifique qui devrait aller de soi. 

Qu’est-ce que tu attends de la société et des politiques pour que de telles attaques ne se reproduisent plus ?

Pénaliser l’homophobie permettrait d’abord de dresser un état des lieux des attaques homophobes en Suisse, physiques et verbales. Pour être dénoncées comme telles, elles doivent d’abord être illégales et l’on doit pouvoir tenir des statistiques. Cela permettrait à la société de se rendre compte du nombre de gens qui souffrent en silence, qui ont peur, qui acceptent des blagues douteuses en silence, et qui ont internalisé l’homophobie au point de ne pas se tenir la main en public. Après mon agression, beaucoup de personnes qui ont subi des violences ou qui n’assument pas publiquement leur orientation sexuelle se sont ouvertes à moi dans la rue, car mon témoignage avait brisé un tabou pour elles. Il y a donc un grand travail de sensibilisation à faire, surtout chez les jeunes, parce que tout le monde est concerné. 

Si la loi était acceptée, quelles seraient les prochaines étapes pour une meilleure protection et acceptation de la communauté LGBTQ+ ?

La question du mariage homosexuel en Suisse est profondément discriminante : avoir seulement droit au partenariat enregistré est une sorte de coming-out forcé, et l’on devrait avoir le choix de partager son orientation sexuelle ou non. Je perçois également l’homophobie comme le paroxysme de la misogynie : toutes les insultes homophobes sont au féminin, nous sommes accusés d’avoir des traits « pas assez virils », et un homme qui s’abaisse à « faire l’amour comme une femme » est alors pire qu’elle. Le jour où on arrêtera de traiter les femmes comme la société le fait aujourd’hui, alors il sera moins grave pour un homme d’aimer un autre homme.

Propos recueillis par Mathilde Mottet pour le PS Suisse. 

21. jan 2020