Pendant la première semaine de juillet, alors qu’un soulèvement demandait le départ du président égyptien Mohamed Morsi, la violence sexuelle contre les femmes sur la place Tahrir était très présente dans les médias. Selon des organisations de défense des droits humains, plus de 100 femmes ont été violées pendant les quatre jours qu’a duré le soulèvement. La violence sexuelle s’inscrivait dans une stratégie politique visant à intimider les femmes et à les empêcher de revendiquer l’espace public, d’y apparaître et d’y prendre la parole. La violence sexuelle fait malheureusement partie du quotidien égyptien, et toutes les femmes peuvent en être victimes, qu’elles soient en minijupes ou en burqa, qu’elles soient égyptiennes ou étrangères. L’Etat égyptien n’offre pas de sécurité aux femmes, les hommes peuvent tout se permettre. Heureusement, la résistance des femmes, et des hommes, commence là aussi à s’organiser. Et heureusement aussi, ce sujet commence enfin à faire l’objet d’un débat.

Aux antipodes de cette mobilisation, le 20 Minutes alémanique a choisi ce moment-là pour lancer une énième campagne sexiste. Des fesses, des seins et des grosses cylindrées – quoi de mieux pour remplir nos pages pendant l’été ? C’est ce qu’a dû se dire la rédaction de 20 Minutes lorsqu’elle a lancé le grand concours copine-bagnole. Une concurrence sérieuse pour un autre gratuit, Blick am Abend, dont le contenu manque autant d’intérêt que les femmes sur ses pages de vêtements1 , même si le concours n’a pas vraiment rencontré d’écho.

A peine quelques jours après cette initiative plus que douteuse, qualifiée à juste titre de « grosse merde sexiste »2 , le  journal  a enfoncé le clou avec un article sur les minishorts, qui sont prétendument de plus en plus courts. En s’habillant de la sorte, les femmes s’exposeraient volontairement à toutes sortes de prédateurs, car on ne devrait pas s’étonner de se faire draguer si l’on se promène comme ça, apprend-on en substance dans l’article. Or, comme le montrent les études sur les agressions sexuelles ainsi que les faits constatés sur la place Tahrir, cette corrélation n’existe pas. Quel que soit leur âge, quelle que soit leur manière de s’habiller, T-shirt ou voile, les femmes peuvent être victimes d’agressions sexuelles. La violence sexuelle n’est rien d’autre que de la violence et doit être traitée comme telle. Ceux qui donnent la faute aux minishorts font fausse route, banalisent la violence sexuelle et accusent à tort les victimes d’avoir elles aussi leur part de culpabilité. En même temps, on comprend qu’il ne s’agit pas, au fond, de vêtements trop courts, mais bien de stéréotypes sexistes, selon lesquels les femmes seraient des provocatrices offertes au premier venu et les hommes des obsédés incapables de se contrôler.

Les stéréotypes sur les rôles « traditionnels » des hommes et des femmes sont liés à la violence sexuelle. La Commission de la condition de la femme de l’ONU l’a clairement expliqué dans le document final de sa session de mars3 , qui insiste sur la nécessité de remettre en question et de lutter contre les stéréotypes sur les sexes et leurs rôles afin de combattre la violence sexospécifique et sexuelle. Il existe des normes internationales qui obligent les Etats à protéger leurs citoyens – et leurs citoyennes – contre la violence. Pour cela, il est nécessaire de prendre des mesures de protection contre la violence, mais aussi des mesures de prévention en amont. Lors de la session d’été, j’ai déposé une initiative parlementaire4 demandant la création d’un service central spécialisé pour les stéréotypes sur les sexes. Celle-ci aura notamment pour mandat de rédiger des recommandations et des prises de position à l’intention des médias et du secteur de la publicité, et ce de manière proactive, sans qu’il doive pour cela être saisi d’une réclamation.

A la lecture des divers articles, j’ai regretté que ce service spécialisé n’existe pas encore, et qu’il ne puisse pas encore m’éviter de lire des torchons sans aucune qualité journalistique comme ceux publiés par 20 Minutes – des torchons que même le creux estival ne saurait justifier. Je souhaiterais que les journalistes suisses comprennent enfin que le sexisme n’est pas une bagatelle, car il contribue à perpétuer la violence sexuelle dont sont victimes des femmes et des hommes dans le monde entier. Qu’ils comprennent aussi que la violence sexuelle comporte aussi un aspect politique et doit être analysée en tant que réalité d’une société où les stéréotypes sur les sexes, et donc la discrimination, sont toujours très répandus. Si les membres de la rédaction pouvaient développer leur compétence en matière de genre en prévision de la prochaine période creuse, ce serait une bonne chose – ils trouveront tout ce qu’il leur faut sur www.rollenrollen.ch.

 

1 « Blutt am Abend » (« nu le soir ») était le surnom donné auBlick am Abendle 10 décembre 2012 par la campagne « 16 Tage gegen Gewalt an Frauen » (« 16 journées contre la violence envers les femmes »)
2 Nick Lüthi, rédacteur en chef de laMedienwoche(magazine en ligne consacré aux médias)
3 http://www.skmr.ch/frz/domaines/genre/nouvelles/violence-femme.html
4  http://www.parlament.ch/f/suche/pages/geschaefte.aspx?gesch_id=20130432

29. juil 2013