Comme toutes les lois estampillées « lutte contre le terrorisme », la LRens sert surtout à renforcer la surveillance préventive de masse, grâce à des moyens invasifs que le Service de Renseignement de la Confédération (SRC) peut mettre en œuvre sur la base de simples soupçons ou grâce à l’« exploration du réseau câblé », qui permet de surveiller l’entier des communications électroniques, y compris le flux internet Suisse-Suisse (qui transite souvent par des serveurs étrangers). Ces mesures restreignent beaucoup plus les libertés fondamentales qu’elles ne permettent de lutter contre le terrorisme.

Une atteinte majeure aux droits fondamentaux

La surveillance préventive autorisée par la LRens se fonde sur une intuition et non pas sur un soupçon avéré d’un crime grave, cautèles essentielles posées par le Code de Procédure Pénale. Les garde-fous prévus par la LRens (accord de la délégation du Conseil fédéral et du président du Tribunal administratif fédéral) risquent de ne pas être efficaces. En effet, un juge unique, peu habitué à ces procédures rares, risque de ne pas trouver les arguments pour contrer ceux d’un SRC qui sait ce qu’il veut. On ne peut en outre que difficilement attendre d’un élu qu’il prenne le risque de refuser son accord à un service de renseignement qui prétend vouloir éviter une attaque terroriste. Enfin, le contrôle parlementaire se heurtera à la dure réalité des faits. Ainsi, des experts de la protection des données allemands appelés à contrôler la surveillance menée par la NSA ont bien dû admettre qu’ils n’avaient « rien compris » aux explications techniques[1].

Des méthodes peu efficaces

La plupart des auteurs des récents attentats (Paris, Bruxelles, Orlando) étaient déjà surveillés de manière préventive par les services de renseignement. Cela n’a pas permis d’empêcher ces actes. Quant à l’auteur de l’attentat de Nice, il n’était pas du tout dans le collimateur des services de renseignement. Là aussi, augmenter la surveillance préventive comme le permet l’équivalent français de la LRens n’a servi à rien. Le problème se situe plutôt au niveau de la communication entre les divers services de sécurité (problème que la LRens n’aborde pas) ou de leurs droits d’intervention sur le terrain. Le SRC ne peut pas intervenir sur le terrain, alors que rien dans la LRens ne l’oblige à partager ses informations avec les forces de l’ordre. En outre, l’« exploration du réseau câblé » est pratiquée depuis des années par la NSA sans autre résultat que de noyer les autorités sous des masses de données inexploitables… en raison justement de leur masse.

La surveillance de masse a par ailleurs une influence mal connue sur l’exercice des droits fondamentaux. Plusieurs études[2] ont démontré que, lorsque la population apprend l’existence de la surveillance de masse (notamment lorsque le scandale de la NSA a été révélé), les personnes qui ont des opinions minoritaires ont tendance à les taire et les journalistes ont tendance à restreindre leurs investigations (« chilling effect »). L’existence même de la surveillance de masse a donc pour effet de restreindre dans les faits l’exercice de la liberté d’opinion et de la presse, indépendamment de son usage concret.

Couac sur couac au SRC

Enfin, la LRens donne d’énormes pouvoirs au SRC. Or, notre service de renseignement a montré à maintes reprises qu’il n’est pas digne de confiance. Ces derniers mois, le SRC a égaré des données sensibles, un de ses agents a arrondi ses fins de mois pour le compte d’un fraudeur du fisc notoire et son directeur s’est présenté à des élections communales. Rien dans la LRens ne permet d’éviter ces couacs.

Il faut donc dire non à une loi qui n’améliorera en rien la traque des terroristes, mais menacera gravement nos libertés.

 

Jean Christophe Schwaab, conseiller national, président de la commission des affaires juridiques

16. aoû 2016