« Pour vivre heureux, vivons cachés ! » Les riches de tous les pays connaissent bien ce vers, datant du 18e siècle, concluant l’une des Fables de M. de Florian. Les sociétés dites « offshore » - qui font à nouveau l’actualité avec les « Panama papers » - n’ont jamais eu d’autre objectif, depuis leur création, que de permettre aux détenteurs de richesses de mettre en œuvre financièrement et fiscalement cette morale. Ainsi, ces sociétés offshore servent aux riches de tous les pays à échapper au fisc national en rattachant fictivement leurs avoirs à des paradis fiscaux. Avec la mondialisation économique et financière, les sociétés offshore sont devenues aussi l’instrument idéal des puissantes entreprises transnationales, afin d’échapper par des constructions légales, mais parfaitement illégitimes, à la fiscalité à laquelle les artisans locaux comme les petites et moyennes entreprises nationales ne pouvaient échapper. Cela, on le sait, en Suisse en particulier, depuis longtemps.

Depuis l’arrestation et la condamnation en 1931 d’Al Capone pour violation des lois fiscales, les parrains, les bandits de grand chemin comme les responsables de leurs réseaux criminels, savent parfaitement qu’ils doivent emprunter les mêmes chemins tortueux du secret bancaire et du contournement fiscal légal mis en place par les politiques, les avocats, les intermédiaires financiers au service des riches de tous les pays, pour éviter le soupçon fiscal fatal et ainsi échapper aux enquêtes pénales, au couperet du droit pénal et à la prison. Ça, tout le monde le sait aussi depuis longtemps.

Le dévoilement, ce début avril 2016, de millions de documents de l’étude d’avocat panaméenne Mossak Fonseca, sous le nom de code Panama papers, permet toutefois de matérialiser concrètement l’ampleur et la complexité de l’ingénierie juridique et fiscale mise en place au profit direct des riches de tous les pays et des réseaux criminels internationaux. Cela permet de réaliser aussi le degré d’organisation mondial de ces contribuables particuliers pour sauvegarder leurs intérêts et contourner les fiscs nationaux grâce à l’appui évident des législateurs complaisants organisant des lacunes légales béantes, des avocats malhonnêtes organisant les filières de l’occultation et falsifiant lorsqu’il le faut les documents, des administrations fiscales somnolentes et peu curieuses et enfin des autorités de poursuites pénales paralysées dans leur action.

Que cette divulgation de masse de données confidentielles soit fondée sur un acte légal ou illégal d’obtention d’informations confidentielles, n’a aucune importance, vu la profonde légitimité politique de cette opération qui pour la première fois rend visible et compréhensible pour l’ensemble des citoyennes et des citoyens le système des sociétés offshore lui-même et dévoile la duplicité d’hommes et femmes politiques qui le défendent ou, pire encore, qui l’utilisent. L’importance des Panama papers ce n’est donc pas la mise au pilori de l’un ou l’autre, illustre ou pas, des usagers du système, mais la mise à nu du système. A part les fantassins et les snipers à la solde des riches de tous les pays, comme la Finanz und Wirtschaft Zeitung de Zurich ou les relais politiques de ce groupe social, personne ne s’offusquera de cette soudaine transparence fiscale et de la fragilité actuelle du secret dans une société numérique interconnectée. Et que l’on ne vienne pas délégitimer cette divulgation comme en la qualifiant d’attaque ciblée contre l’une ou l’autre personnalité, de manœuvre politique pour s’en prendre à une place financière en particulier ou encore d’opération ennemie contre un chef d’Etat, comme le soutien de manière absurde le président russe, Vladimir Poutine.

Cette mise à nu des acteurs et du réseau planétaire des sociétés offshores place surtout sous les projecteurs la dimension politique de ce système. Elle permet ainsi de comprendre comment les riches de tous les pays, main dans la main avec les entreprises transnationales, dont ils détiennent des parts importantes du capital, forment concrètement une classe sociale organisée au niveau mondial avec ses propres règles. Une classe sociale, consciente de l’être, travaillant méthodiquement et sans relâche, partout, avec de multiples relais, à la défense de des intérêts de ses membres, le 1% de la population mondiale, contre l’intérêt général, spoliant les Etats de leurs ressources et donc de leur moyen d’agir en faveur du plus grand nombre, les 99%. Et cela, en favorisant de manière parfaitement consciente la structure financière des réseaux criminels qui empruntent les réseaux mis en place.

L’indignation populaire est forte. Elle a déjà fait une victime, le premier ministre islandais. Le président ukrainien est entrainé dans une crise politique. Le premier ministre britannique David Cameron, dont le père a usé de sociétés offshore pour éluder l’impôt, est sur la défensive. La direction du FN est sommée de s’expliquer. Mais aujourd’hui, il est nécessaire d’aller plus loin que l’indignation, plus loin que les déclarations tonitruantes vides de conséquences, comme celles auxquelles nous a habitués François Hollande, plus loin que les effets de manche judiciaire, comme l’annonce de l’ouverture d’enquêtes pénales, dès lors que -sauf rares cas de délit de corruption ou de falsification de documents outre que les réseaux criminels – la majorité des opérations de type fiscal sont légales, en raison de lacunes légales volontaire dans les lois nationales.

Il faut agir rapidement, en s’appuyant sur la juste indignation citoyenne, pour qu’au niveau national et international, l’usage des sociétés offshore soit tout simplement interdite. Non pas pour des raisons idéologiques, mais pour mettre fin aux privilèges que s’accordent les riches de tous les pays. Pour combler les trous béants des dispositifs légaux fiscaux permettant aux riches de tous les pays d’éluder l’impôt et ainsi revenir à plus de justice sociale, plus d’égalité et plus de solidarité.

En 2013, je demandais au Conseil fédéral d’étendre l’application de la loi sur le blanchiment d’argent aux avocats et notaires participant à la mise en place de dispositifs offshore, même s’ils n’étaient pas des intermédiaires financiers. Le Conseil fédéral s’y opposait. La complicité structurelle de certains avocats en Suisse mélangeant allègrement leur activité de plaideur dans les prétoires avec celle d’affairiste appuyant les sombres projets de leurs clients souhaitant au minimum éluder l’impôt, justifie d’aller plus loin que cette demande initiale et d’interdire aux avocats inscrits au barreau tout activité en relation avec les sociétés offshore ou même tout simplement interdire en Suisse toute activité relative à ces sociétés. Et que l’on ne vienne pas nous dire que c’est impossible d’interdire l’usage des sociétés offshore. Le Lichtenstein a choisi depuis près de dix ans la stratégie de l’argent propre afin d’assainir sa place financière et a ainsi expurgé son système de 50'000 sociétés de ce genre. Par ailleurs,  avant la mise en place de ce système planétaire et la production quasiment industrielle de telles sociétés, l’économie fonctionnait. Il n’y a donc aucune raison de penser qu’un petit pas de retour vers l’économie réelle par l’interdiction des sociétés offshore ne soit pas possible.

Il est temps que les 99% de tous les pays s’organisent et défendent l’intérêt du plus grand nombre et les biens communs. C’est la seule issue. C’est le sens de mon engagement. 

18. avr 2016