Si dans les années 1980-1990 les écarts entre les plus bas et les plus hauts salaires servis dans les entreprises suisses se situaient le plus souvent dans un rapport de 1 à 5, voire de 1 à 10, la situation s’est gravement détériorée ces dernières années et les écarts se sont creusés de manière inquiétante dans les grandes firmes. Ainsi, en Suisse entre 2002 et 2009, l’augmentation des salaires des managers a été en moyenne de plus de 60% alors que dans le même temps, celle des employé-e-s est restée inférieure à 4% !

Lors de la crise financière de 2008-2010, on pouvait espérer que cette évolution un peu folle serait stoppée… Or, ce ne fut qu’une pause très passagère et, aujourd’hui, les salaires et les bonus des top-managers sont repartis à la hausse et sont parfois jusqu’à 200 fois plus élevés que ceux des employés les moins payés au sein d’une même entreprise ! On est en plein délire, car qui peut prétendre qu’un dirigeant, si brillant soit-il, atteint des performances d'une telle proportion, en comparaison de celles des collaborateurs qui participent tous à leur manière aux résultats de l’entreprise.

Ces dernières années, sous la pression des politiques néo-libérales menées au plan international, les salaires des dirigeants de grandes firmes ont perdu tout contact avec les réalités concrètes et on est entré dans un véritable « marché boursier » où les top-managers, à l’instar de certaines vedettes sportives, sont cotés et voient leurs actions augmenter de manière indécente et très rarement diminuer. En effet, même lorsque les performances de l’entreprise ne sont pas à la hauteur des attentes et que le dirigeant est renvoyé, il s’en va le plus souvent avec encore une confortable prime de sortie !

Cette situation devient intolérable et la majorité du peuple suisse a déjà exprimé sa volonté de s’attaquer au problème en acceptant l’Initiative contre les rémunérations abusives. Si elle permettra de mettre fin à certaines pratiques et à certains abus, on peut toutefois douter que cette initiative ait beaucoup d’effet sur le niveau réel des rémunérations ; cela dépendra de la volonté des actionnaires.

Si on veut établir un cadre de référence clair, qui veut fixer comme règle de base que le dirigeant d’une entreprise peut gagner au maximum en un mois ce que ses collaborateurs les moins payés gagnent en une année, il faut dire un grand OUI à l’initiative 1:12. Cette proposition est à la fois réaliste et raisonnable et elle présente l’intérêt d’éviter que les injustices continuent à se développer dans notre pays. Elle provoque de plus un débat très vif et fondamental sur la dimension éthique des rémunérations et sur leur influence sur la cohésion sociale de notre société, qui risque d’être gravement mise à mal si les riches continuent à devenir de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres !

Outre le fait de fixer un rapport entre les rémunérations au sein de la même entreprise, on peut surtout espérer que l’initiative 1:12 et les débats qu’elle génère provoquent une prise de conscience du grave problème des salaires indécents qui sont parfois servis aux travailleurs les moins payés, les conduisant directement à l’aide sociale pour assurer leur subsistance. L’initiative doit donc aussi permettre de préparer le terrain pour l’initiative qui demande l’introduction d’un salaire minimal en Suisse ; mesure qui doit mettre fin au scandale des travailleurs pauvres qui sont encore plus de 335'000 dans notre pays !

Les opposant-e-s à l’initiative brandissent les menaces de délocalisation de sites de production de multinationales. A ce sujet, il convient de rappeler que, si ces firmes maintiennent certaines productions en Suisse malgré les coûts élevés que cela implique, c’est bien parce que notre pays possède un savoir-faire et des capacités d’innovation de très haut niveau, qui sont bien plus déterminants que le salaire d’un manager pour guider le choix du lieu d’activité de l’entreprise. De plus, l’initiative 1:12 ne remet pas en cause l’organisation et la gestion des entités et n’augmente pas les coûts de production… bien au contraire ! De plus, la quasi-totalité des PME de notre pays ne seront pas concernées puisqu’elles pratiquent déjà, fort heureusement, des rémunérations raisonnables pour leurs dirigeants.

Les opposants craignent aussi des baisses de recettes fiscales et de cotisations aux assurances sociales. Seule l’Université de St Gall, dont la neutralité dans ce débat est pour le moins sujette à caution, s’est jusqu’ici risquée à fournir des chiffres que même le Conseil fédéral a refusé de confirmer. Il est en effet quasi impossible de prédire qu’elle sera la réaction des firmes concernées en cas d’acceptation de l’initiative et les prévisions alarmistes faites à l’époque par les opposants à l’initiative Minder ne se vérifient absolument pas !

Relevons aussi au passage que ces mêmes opposants sont très loin de se préoccuper des baisses de recettes pour les collectivités publiques lorsqu’il s’agit d’introduire de nouvelles baisses de la fiscalité. Que dire à ce sujet des milliards de pertes engendrées par la deuxième révision de l’imposition des entreprises, dont le peuple n’a pris connaissance qu’après avoir accepté de justesse ce projet soutenu à l’époque sans réserve par les partis de droite et qui profite avant tout aux contribuables les plus aisés !

Notre pays doit s’engager activement dans la mise en place de nouvelles règles en matière économique et financière et l’acceptation de l’initiative 1:12 doit marquer un pas déterminant pour un retour à la raison en matière de rémunérations.

11. oct 2013