Si vous êtes riche, étranger et sans activité lucrative en Suisse, il existe une exception à l’imposition en fonction de la capacité économique : l’imposition selon la dépense ou, autrement dit, le forfait fiscal. Ce système évalue grosso modo vos dépenses en Suisse et applique l’impôt à ce montant. Cette inégalité de traitement se justifierait par le principe de réalité ou le pragmatisme : si ce n’est pas nous qui leur accordons un régime particulier, ces personnes partiront et nous aurons tout perdu. C’est pourtant « oui » qu’il faut voter le 30 novembre, car ce raisonnement est inadmissible tant il est immoral, mais aussi parce que les conséquences fiscales sont loin d’être aussi évidentes que l’affirment les opposants.

Une violation crasse des principes constitutionnels

Le forfait fiscal viole deux principes fondamentaux de la Constitution suisse :

1. L’imposition en fonction de la capacité économique (art.  127 al. 1 Cst.) établit le principe ancestral que plus l’on a de moyens, plus l’on doit contribuer à la collectivité. C’est le pendant du principe d’équité et de justice sociale : l’État, qui doit assurer l’égalité des citoyens, redistribue une (petite) partie des richesses produites pour que tous puissent trouver une place dans la société. Cette règle fondamentale est le ciment social d’un pays : chacun contribue au bien-être collectif selon sa capacité. Le forfait fiscal est une entorse évidente à ce principe : ce n’est pas la capacité économique qui prévaut, mais la capacité à dépenser. Si on pousse à l’absurde, qui ne dépense rien ne paie rien. C’est totalement contraire à la justice en matière d’imposition, mais aussi un non-sens économique. Ce sont ceux qui thésaurisent sans faire tourner l’économie qui paient le moins d’impôts.

2. La violation du principe d’égalité (art. 8 Cst.) est aussi choquante : deux contribuables qui ont la même fortune et qui ne travaillent pas ont une feuille d’impôt totalement différente parce que l’un est étranger, l’autre suisse. Les partis bourgeois, si prompts à durcir les lois pour les étrangers qui travaillent, sont prêts à défendre et promouvoir un système désavantageux pour les nationaux ! Le message de l’UDC est limpide : les étrangers ne sont bienvenus en Suisse que s’ils sont riches.

Nous ne pouvons plus tolérer cela. Le maintien d’une entorse aussi claire aux principes mêmes de notre Constitution avec la seule justification d’un pseudo-pragmatisme me choque profondément. Si la politique ne se fait pas qu’avec de bons sentiments, elle ne peut se faire sans éthique. Or le forfait fiscal, c’est l’immoralité de la taxation.

Des conséquences pas si prévisibles…

Les opposants à l’initiative peignent le diable sur la muraille (voir le clip de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève, www.ccig.ch/forfaitsfiscaux) en annonçant un cataclysme économique si le oui l’emporte. Vraiment ?

Plusieurs éléments nous font douter. La fin des forfaits fiscaux verrait l’exode massif des riches étrangers hors de Suisse, car ces gens seraient très volatiles. C’est sans doute vrai pour certains, pas pour tous, pas non plus pour la majorité. Si l’argument était exact, il n’y aurait plus de riches contribuables suisses en Suisse : ils ne peuvent pas être imposés selon leurs dépenses, ils sont volatils et d’autres endroits sont plus attractifs. En pensant à un milliardaire zurichois, j’apprécierais que la théorie soit juste, mais elle ne l’est pas. La Suisse, même sans forfaits fiscaux, reste attractive, avec des niveaux d’imposition parmi les plus bas d’Occident. Elle est attractive par son cadre, sa stabilité, sa sécurité, son offre culturelle – autant d’éléments importants pour ces contribuables.

La Suisse n’est déjà plus la plus attractive fiscalement en Europe, certains micro-États le sont davantage. Pourtant, de nombreux riches contribuables, imposés selon la dépense ou non, choisissent l’Helvétie parce qu’ils y trouvent leur compte. Cela montre bien que l’apocalypse n’aura pas lieu.

Enfin, les cantons qui ont supprimé les forfaits fiscaux – dont Bâle-Ville et Zurich – sont parmi les plus dynamiques. La fin des forfaits a vu des contribuables partir, oui, mais ce qu’ils payaient a été largement compensé par l’impôt juste que paient désormais ceux qui sont restés. Or les fuyards ont essentiellement trouvé refuge… dans des cantons qui pratiquent encore le forfait fiscal ! Si on le supprime partout en Suisse, il est fort à parier que plutôt que l’exil et la perte annoncés, les revenus fiscaux augmenteront grâce à une imposition juste, modérée et éthiquement admissible.

Votons donc oui pour mettre fin à un régime choquant dont la survie est plus nuisible qu’utile pour la Suisse. 

04. nov 2014